Travailler pour être régularisé ou être régularisé pour travailler.
La loi sur l’immigration adoptée par le Parlement le 19 décembre 2023 présente dans un nouvel article L 435-4 du Code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile CESEDA, une voie de régularisation des travailleurs sans-papiers exerçant dans un métier ou une zone géographique en tension.
Cette nouvelle disposition, si elle est confirmée par le Conseil Constitutionnel, permettra aux étrangers en situation irrégulière, présents en France depuis au moins 3 ans, travaillant depuis au moins 12 mois sur les 24 derniers mois dans un métier ou une zone géographique en tension, d’obtenir la carte de séjour « salarié » ou « travailleur temporaire ».
Beaucoup se réjouissent de cette disposition qu’ils présentent comme l’une des rares étant favorables aux étrangers. Auparavant, les seules dispositions qui édictaient les règles de régularisation des travailleurs sans-papiers étaient contenues dans la circulaire dite « Valls » du 28 novembre 2012,
Pour rappel l’employeur qui a embauché ou conservé en toute connaissance de cause à son service un étranger sans autorisation de travail encourt, a minima, une peine de 15000 euros d’amende et 5 ans d’emprisonnement ainsi que d’autres sanctions administratives ?
La loi française interdit par principe à un étranger dit en « situation irrégulière » d’exercer un emploi, mais exige dorénavant ce qu’elle interdit, pour le « régulariser ».
Comment peut-on travailler sans disposer de titre de séjour ?
C’est la grande question posée, lorsque l’on annonce, à un employeur ou un étranger présent irrégulièrement sur le territoire français que pour être régularisé, il doit justifier de périodes de travail antérieur.
C’est ainsi l’une des plus grandes contradictions que renferment cette réforme sur l’immigration et curieusement très peu en parlent !
Si le Législateur n’en n’est pas conscient, le gouvernement est certainement informé que les nouvelles dispositions, dans le sillage de la circulaire Valls, risquent de renforcer considérablement les pratiques de travail illégal.
1- Les options de travail en situation irrégulière
Un étranger en situation irrégulière peut travailler selon plusieurs situations.
– « Travail au Black » : il travaille sans être déclaré, en percevant ses salaires essentiellement en espèces ou sur le compte d’un tiers. La preuve de l’activité professionnelle sera très difficile voire impossible étant donné l’illégalité de l’activité pour l’employeur et le salarié.
– Le travail sous une fausse identité : un étranger peut travailler sous une fausse identité , soit sous l’identité d’une personne titulaire d’un titre de séjour, soit sous un faux nom. Il est ainsi déclaré et perçoit des bulletins de salaire sous une fausse identité . La preuve de l’activité professionnelle sera trés difficile à rapporter dans la mesure où ce n’est pas son identité; cependant la circulaire Valls avait introduit la possibilité, pour l’étranger, de produire une « attestation de concordance d’identité » établit par l’emloyeur. Cette situation est manifestement illégale et de moins en moins de préfectures acceptent cette situation.
– Le travail déclaré d’un étranger devenu « sans-papiers » : l’étranger a débuté un emploi alors qu’il détenait un titre de séjour valide. Ayant perdu son droit au séjour en France il continue son travail sans déclarer à l’employeur l’absence du renouvellement du titre ou son OQTF. Ce dernier n’ayant pas vérifié la validité du titre de son salarié, a continué à l’employer dans l’irrégularité. La preuve de l’activité professionnelle sera rapportée facilement par la production de bulletins et du contrat ainsi que des virements bancaires cependant cette situation demeure illégale pour l’employeur et le salarié.
– Le travail déclaré d’un « sans-papiers » : Dans cette situation il est déclaré avec son passeport et/ou un numéro provisoire de sécurité sociale. Il perçoit ses bulletins de salaires et justifie d’un contrat de travail. La preuve de l’activité étant sans difficulté mais l’illégalité demeurant.
– Le travail des étrangers titulaires d’un titre de séjour d’un autre pays de l’UE : certains étrangers en provenance d’autre pays de l’UE se font embaucher à l’aide de leur titre de séjour délivré par autre pays de l’UE (Italie, Espagne, Portugal etc..) alors que ces titres ne permettent pas de travailler en France. La preuve de l’activité étant sans difficulté mais l’illégalité demeurant.
2- La fraude documentaire
Une grande partie des étrangers souhaitant être régularisés vont avoir recours aux faux documents pour être embaucher, bénéficier de bulletins de salaire, et remplir les conditions de régularisation par le travail.
En pratique, dès l’entrée en France, soit par voie régulière (visa C) soit irrégulière, certains étrangers sont parfaitement informés des conditions requises pour être régularisés. Ils se procurent ainsi, de fausses cartes d’identité d’un autre pays de l’Union européenne (Italie, Espagne. Belgique…) afin de pouvoir travailler en France. Les ressortissants de pays européens, étant dispensés de titre de séjour et ayant un accès sans restriction au marché de l’emploi, ne sont pas soumis à la vérification d’authenticité de document dans le cadre d’un recrutement.
Passant la vigilance des employeurs, ils arrivent à signer un contrat de travail, à s’immatriculer même au niveau de la caisse de sécurité sociale et à percevoir des bulletins de salaire. Le but initial étant de remplir les conditions fixées par la loi afin de pouvoir être régularisé.
L’accroissement de fraude documentaire sera la conséquence directe des nouvelles dispositions de l’article L435-4 du CESEDA.
L’exclusion du travail effectué sous les titres « étudiants », « réfugié » ou « saisonnier », réduit le nombre d’étrangers pouvant bénéficier de cette régularisation sans avoir eu recours aux faux documents.
En tout état de cause l’ensemble des situations énumérées ci-dessus, sont illégales et sont les seules à permettre aux étrangers en situation irrégulière à avoir accès aux titres de séjour introduits par le nouvel article L435-4 du CESEDA.
Ignorance ou déni des institutions de la république ? En tout état de cause, la régularisation des travailleurs « sans-papiers » ne devrait pas être conditionnée par l’exigence de travail antérieur.
3- Risques et pouvoir des employeurs
Du côté des employeurs, le gouvernement n’a cessé de proclamer que les sanctions contre l’embauche illégale d’étranger et la lutte contre l’exploitation de migrants seraient renforcées. Mais ces nouvelles dispositions témoignent le contraire.
D’une part les employeurs n’ont pas le droit d’embaucher les étrangers sans titres de séjour et, lorsqu’un employeur soutient une demande de régularisation par le travail en préfecture, il reconnaît dans cette démarche l’irrégularité de la situation dans laquelle il était et s’expose ainsi à un risque de sanction.
D’autre part, exiger les bulletins de salaires pour la régularisation renforce la précarité des salariés étrangers « sans-papiers », face à certains employeurs qui imposent des conditions de travail dégradantes et indignes de la condition humaine, pour l’accompagnement à la régularisation ou la production de bulletins de salaire.
4 – Sur les métiers en tension
Cette distinction de recrutement sur les métiers en tension est subjective et inefficace, dans la mesure où le gouvernement ne dispose pas d’outils efficaces pour mesurer véritablement les besoins de recrutement des entreprises. La liste actuelle des métiers en tension est définie dans un arrêté du 1er avril 2021, n’est absolument pas représentative des pénuries de recrutement de main d’œuvre. Plusieurs secteurs n’y sont pas mentionnés, tels que la restauration et l’hôtellerie, le bâtiment, l’aide aux personnes, le travail ménager, l’agriculture le commerce et de la vente ainsi que des emplois cadres, or ces métiers concentrent une grande main d’œuvre étrangère en situation régulière ou non. D’autre part, dans certains secteurs où il n’existe pas de pénurie de main d’œuvre, des employeurs peinent à recruter des employés qualifiés en raison de la spécificité de leur activité.
L’application de cette nouvelle disposition législative sera à court terme une voie de régularisation massive pour beaucoup d’étrangers, mais constitue à long terme une source de sanctions et d’aggravation de la situation des étrangers irrégulièrement établis en France.
Une législation sur l’immigration irrégulière est indispensable. Cependant elle doit être sincère et cohérente. Pour pallier la pénurie de main d’œuvre et les besoins de recrutement, la régularisation des étrangers est l’une des meilleures solutions, mais elle ne doit pas être conditionnée par l’exigence d’une activité professionnelle illégale. Les nouvelles dispositions de l’articles L 435-4 du Ceseda, fragilisent bien plus qu’elles ne renforcent la situation des étrangers « sans-papiers » et celle des employeurs.
Toutes ces descriptions ressortent du quotidien de l’exercice professionnel d’un avocat en droit des étrangers faisant apparaître plusieurs réalités et agissements de ressortissants étrangers en situation irrégulière ayant comme seul et unique objectif l’obtention du Saint Graal : le titre de séjour français.–
Maître Fatou BABOU
Avocate au Barreau de Bordeaux
Droit de l’immigration et de la nationalité française
Consultante en politiques publiques migratoires
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