GRANDES LIGNES DU PROJET DE REFORME SUR L’IMMIGRATION ATTENDU POUR 2023

Maître Fatou BABOU

Le 2 novembre 2022, dans un entretien avec le journal le monde, le ministre de l’Intérieur et le ministre du Travail ont annoncé les grandes lignes du projet de loi sur l’immigration devant être examiné début 2023.

Ils annoncent plusieurs mesures et nouveautés devant rendre plus efficiente la politique d’immigration en France. Alors que certaines mesures sont innovantes particulièrement en matière d’immigration professionnelle, d’autres paraissent mitigés au regard de la protection de certains droits.  

  1. Réduction les voies de recours pour les OQTF

Le ministre annonce la réduction des voies de recours contre une obligation de quitter le territoire français. En effet, il déclare qu’il existe 12 voies de recours et qu’il souhaite les réduire jusqu’à 4.  En ma qualité de praticienne du droit des étrangers je ne connais que 3 voies de recours contre une OQTF : le recours gracieux, le recours hiérarchique, le recours juridictionnel. Je pense plutôt que pour rendre effectif l’exécution des OQTF le gouvernement devrait proposer de renforcer les voies de recours, de manière à ce que, lorsque qu’une OQTF devient définitive soit par l’écoulement du délai de recours soit par la confirmation du tribunal administratif, il n’y ait qu’une seule issue pour l’étranger, celle de l’exécution. Les délais de recours sont assez courts et l’instruction des dossiers difficiles pour les tribunaux en raison du nombre de recours. Il serait plus opportun pour le gouvernement de garantir l’effectivité du recours plutôt que de le restreindre et éviter une condamnation de la CEDH.

  • « Rendre la vie impossible aux personnes sous OQTF »

Le ministre de l’Intérieur déclare : « Le préfet veillera à leur rendre la vie impossible, par exemple en s’assurant qu’elles ne bénéficient plus de prestations sociales ni de logement social. Nous changeons de braquet. ».  D’une part les préfets n’ont ni  les moyens ni les ressources pour « rendre la vie impossible aux étrangers » et d’autre part,  un étranger qui est sous OQTF ne bénéficie plus de prestations sociales ni d’une quelconque aide, c’est déjà le cas. L’étranger, dépourvu de titre de séjour, n’a aucun moyen de mener des démarches en France, excepté la carte médicale d’état.

  • Inscription sur le fichier des personnes recherchées

Tout d’abord le ministre a annoncé plusieurs mesures concernant l’exécution des oqtf . Il annonce que les personnes bénéficiant d’une obligation de quitter le territoire français seront désormais inscrites sur le fichier des personnes recherchées.

Cette proposition me paraît assez sévère dans la mesure où plusieurs obligations de quitter le territoire français sont annulées par le tribunal administratif en raison de leur illégalité. Par conséquent il serait grave d’inscrire des personnes sur ce fichier avant que l’OQTF ne soit définitive. Et même, l’inscription sur fichier des personnes recherchées entraine de graves conséquences qui ne sauraient être appliquées à un étranger ne constituant pas un trouble à l’ordre public.

Le ministre entend, à travers cette mesure, pouvoir effectivement mesurer le nombre d’exécutions. Pourquoi dans ce cas, ne pas instaurer une obligation de notification de l’exécution de l’oqtf auprès des services de la police aux frontières et que cette exécution soit mentionnée sur le fichier AGREDEF, indiquant également l’impossibilité pour un étranger de déposer une demande de visa ou de titre de séjour en cas de non-exécution d’une OQTF devenue définitive.

  • Conditionner les titres de séjour pluriannuels à la réussite d’un examen de français

C’est une mesure logique et cohérente, elle existe déjà pour les cartes résident et la nationalité française. Le gouvernement étendra à juste titre cette condition qui témoigne d’une intégration de l’étranger dans la société française.

Immigration professionnelle

Le ministre du Travail annonce la possibilité d’établir une seule autorisation de travail durant toute la durée du séjour, alors qu’aujourd’hui l’étranger doit solliciter une autorisation de travail pour chaque contrat. Cette solution faciliterait les démarches des salariés étrangers ainsi que le recrutement pour les employeurs français. Ce serait une excellente initiative.

  • Régularisation des personnes présentes et travaillant sur le territoire français

En se référant à « la circulaire Valls » le ministre du Travail entend régulariser les étrangers qui exercent un emploi sur des métiers « en tension ». Il évoque la possibilité pour un étranger de pouvoir être régularisé sans passer par un employeur.  Cette mesure serait une excellente initiative et permettrait d’apporter une solution concrète à la pénurie de main-d’œuvre.

Seulement, j’invite le gouvernement à ne pas réitérer la grande contradiction de « la Circulaire Valls », en effet cette circulaire permet à un étranger de demander une régularisation s’il a 5 ans de séjour en France et 8 bulletins de salaire ou 3 ans et 24 bulletins. Cela implique que pour être régularisé il faudrait travailler, or, le travail d’un étranger en situation irrégulière est interdit. Ainsi les étrangers en situation irrégulière ont recours à l’usage de faux documents (carte d’identité italienne, belge, espagnole) pour exercer un emploi et remplir les critères de cette circulaire. Les préfectures régularisent et l’inspection du travail sanctionne. Lorsque j’explique à un étranger présent depuis 7 ans en France que pour être régularisé il lui faut des bulletins de salaire, il me dit « mais comment puis-je travailler sans titre de séjour ».

Il serait opportun d’adopter une double législation, une première qui serait applicable uniquement présente sur le territoire national en 2023, avec un effet limité dans le temps. Et adopter une législation qui s’appliquerait de manière pérenne qui sanctionnerait l’entrée irrégulière en France et organiserait autrement la régularisation.

  • Elargissement de la liste des métiers en tension

L’élargissement de la liste des métiers en tension est sans doute l’une des mesures les plus importantes et des plus efficaces que prendrait le gouvernement. En effet la liste actuelle est assez restreinte et ne permet pas véritablement de pallier la pénurie de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs d’activité, tels que la restauration, le bâtiment, les services d’aide à la personne et le secteur agricole.

Le ministre du Travail entend également « rendre plus connu le passeport talent et avoir un outil pour permettre aux étrangers non communautaires de connaître les besoins de l’économie française, pour qu’ils puissent faire valoir leurs propresqualifications » cette mesure serait efficiente si les procédures pour le passeport sont simplifiées.

  • Création d’un titre de séjour « métier en tension »

Le ministre du Travail propose de créer un titre de séjour « métier en tension », à définir. Il aura ainsi une protection sociale adéquate. C’est une excellente initiative, je me demande seulement si cela est nécessaire compte tenu de l’existence d’un titre de séjour salarié. Pourquoi ne pas juste faciliter l’obtention du titre de séjour salarié pour un étranger qui souhaite travailler dans un secteur en tension.

Le ministre précise cependant que « Ce titre de séjour spécifique sera là pour régulariser une situation parce qu’on démontre qu’on travaille dans un métier en tension ». Cette logique et cohérente et adaptée aux réalités actuelles.

En somme, le ministre de l’Intérieur et le ministre du Travail ont abordé ces principaux thèmes dans le cadre du projet de réforme sur l’immigration. Cependant certains sujets n’ont pas été abordés tels que la dématérialisation des procédures qui est une excellente initiative, mais qui regorge encore de plusieurs difficultés d’application et qui porte considérablement préjudice aux étrangers dans une certaine mesure.

Il demeure également le problème de l’harmonisation des procédures en préfecture en effet l’immigration connaît plusieurs difficultés en France, car le traitement des dossiers en préfecture est long il disparate les préfectures ont des pratiques différentes les unes des autres les modalités de dépôt sont différenciées ainsi que les traitements, les délais et les instructions, il serait opportun que le ministre de l’Intérieur puisse créer une procédure uniformisée pour les modalités de  dépôt et d’instruction de dossiers pour toutes les préfectures.

La question des visas d’entrée en France n’est pas abordée, le gouvernement devrait se positionner et annoncer un politique clair en matière de visa d’entrée en France.

Maître Fatou BABOU Avocate au Barreau de Bordeaux

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